La légende du cimetière maudit

 

EXTRAIT du livre :

 

Dehors, le soir tombait et une légère brume commençait à envelopper doucement la végétation et l’étang environnants, donnant à l’obscure forêt un aspect des plus fantomatiques « on se croirait dans un film d’épouvante » songea l’aîné en frissonnant.

- J’ai peur, gémit Fabien.

- Ne crains rien, je suis là… on va contourner la baraque chacun de son côté.

Cette perspective n’était guère engageante et Fabien sentait sa salive se dissoudre littéralement dans sa bouche.

Soudain, un craquement sec les fit sursauter.

- Qui est là ? cria Ralph. Sortez ou je…

- C’est… c’est moi, souffla une voix rauque.

Quelqu’un était tapi dans un renfoncement de la cabane.

- Sortez de là ! Ordonna l’aîné en levant son gourdin.

Un grand adolescent ébouriffé émergea de l’ombre, aussi effrayé que les deux autres. Il rejeta son épaisse chevelure en arrière et dévisagea Ralph et Fabien sans prononcer un seul mot.

Le moment de surprise fut bref.

- Thomas ! C’est toi ? tu nous as flanqué une de ces trouilles, pourquoi ne nous as-tu pas rejoints dans la baraque, au lieu de rôder comme un voleur ?

Le nouvel arrivant était un grand gamin solitaire, et un peu sauvage, qui s’entendait à merveille avec les quatre amis. En fait, il avait beaucoup d’admiration pour eux. Il avait, à peu de chose près, l’âge de Ralph. Son teint était mat dans un visage aux traits assez fins. Deux yeux vifs, verts comme les eaux d’un lac de montagne, lui donnaient un air franc et volontaire.

- Tu trembles, remarqua Fabien, t’as froid ?

- Oui, répliqua l’autre… et puis… j’ai la trouille…

- La trouille ? répéta Fabien étonné. Toi ? bâti comme t’es ? t’as la trouille ?

- Oui ! j’ai la trouille ! une trouille viscérale !

- Viens, il fait meilleur à l’intérieur, tu mangeras avec nous. Tu vas nous raconter ça.

- Mais je n’ veux pas vous embêter…

- Tu rigoles ? on est copain, non ?

Ils faillirent heurter Aurélie qui venait à leur rencontre, la hache à la main.

- Qu’est-ce que vous fabriquez ? Oh, Thomas ?

- Oui… Bonjour Aurélie, bonjour Pat’

- Bonsoir Thom’, répondirent les filles, d’une même voix.

- Aurélie, qu’est-ce que tu fais avec ça dans les mains ? questionna le nouveau venu.

La fillette ne prêta aucune attention aux propos du garçon.

- Ainsi, c’est toi qui rôdes autour de la baraque, reprit-elle, tu nous as flanqué une belle frousse ! Pourquoi n’as-tu pas frappé, tout simplement ?

- Parce que je ne savais pas que c’était vous qui aviez élu domicile dans cette maisonnette…

- Pour la nuit, seulement, précisa Ralph.

Il prit la hache des mains de sa sœur et la reposa à l’endroit qu’elle n’aurait jamais dû quitter.

- Veux-tu un jus de fruits ? proposa Patricia en lui offrant également des gâteaux.

Tous s’installèrent autour de la table et chacun commença à piocher dans les paquets de biscuits.

- T’as dit que t’avais peur, tout à l’heure, interrogea l’aîné, intrigué.

- Oui, je… j’ai peur… très peur ! et froid aussi…

- Froid ? c’est pas étonnant, tu te balades en tee-shirt en plein mois d’avril, remarqua Fabien.

- Mais t’as peur de quoi ? demanda Aurélie avec impatience.

Thomas les dévisagea tous.

- Je… je vais vous raconter ça…

 

 

 

 

_________________

 

 

 

Ralph et Fabien chargèrent le foyer du fourneau de fagots et bientôt une douce chaleur se répandit dans la pièce. Dehors, la nuit était tombée et le silence régnait en maître, troublé parfois par le ululement d’une chouette ou le coassement d’une grenouille. Les enfants avaient allumé des lampes à pétrole qu’ils avaient trouvées dans un placard, car la maisonnette n’était pas reliée au réseau électrique.

- De qui ou de quoi as-tu peur ? reprit Ralph.

L’autre, qui n’était effectivement vêtu que d’un jean et d’un tee-shirt, se rapprocha du feu en frissonnant.

- Je… je vais vous raconter une bien étrange histoire. Papa est parti… en Arabie Saoudite pour y travailler, il sera absent un mois. C’est très exceptionnel car d’habitude, il travaille ici, en France. Maman et moi devions nous rendre chez mes grands-parents. Mais j’ai trouvé ça assez barbant et j’ai demandé la permission de rejoindre ma tante, à Blois, avec mon VTT. J’ai des copains là-bas et j’aurais passé un séjour sûrement plus agréable que chez mes grands-parents où je ne connais aucun enfant de mon âge.

- Dis donc, La Ferté/Blois, ça fait une trotte à VTT, observa Fabien.

- Justement, j’avais décidé de passer deux nuits dans une maison appartenant à une amie de mes parents, la villa des fauvettes… située dans le hameau des forêts.

Patricia et Aurélie sursautèrent.

- Mais c’est là qu’on va, précisément, répliqua cette dernière.

- Oui, reprit le gamin, eh bien, si vous voulez un conseil, n’allez pas dans cette bicoque, c’est un véritable coupe-gorge ! C’est une réplique de la maison du diable ! moi, j’ai voulu y passer deux nuits…

- Ainsi, c’était toi qui devais occuper le pavillon avant notre arrivée ? observa Aurélie.

- Sans doute, répondit le garçon. Je savais que ma tante devait arriver demain dans sa résidence secondaire. Donc, je devais passer deux nuits dans le pavillon des fauvettes.

- Et alors ? demanda Aurélie.

- Alors, je me suis barré au petit matin, sans même prendre le temps d’emporter mes fringues. J’ai juste enfilé, à la hâte, les vêtements que je porte actuellement.

Les quatre amis se regardèrent, perplexes. Thomas était un garçon sérieux, il semblait vraiment bouleversé par l’évocation de la nuit qu’il avait passée dans la fameuse villa…

- Explique ! supplia Fabien que la curiosité tenaillait.

- Eh bien c’est compliqué… d’abord, il y a eu l’histoire du… enfin du…

- Écoute, Thom’ si tu commençais par le début ? suggéra Ralph.

- Il y a eu l’histoire du petit vieux.

- Quel petit vieux ? demanda Aurélie.

- Bon sang, laissez-le parler, coupa son frère. Vous n’arrêtez pas de l’interrompre.

- Bon, bon, je ne dirai plus rien…

- Un vieil homme qui vit un peu en ermite, retranché dans sa maison, reprit Thomas, pas bien loin de la villa. Il m’a raconté que, certaines nuits… des nuits noires, des nuits où la lune est éteinte, où même les étoiles sont absentes… il se passe des choses étranges entre le hameau et l’ancien cimetière. Certaines nuits, des lumières brillent dans la chapelle toute proche. On prétend que des sorcières s’y réunissent pour y célébrer leur sabbat, on dit aussi que les morts se promènent dans le cimetière…

- Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? souffla Aurélie, dubitative.

- Ce ne sont pas des histoires, reprit le gamin, j’ai pu le constater moi-même la nuit dernière. J’ai vu… de mes yeux vu, vous m’entendez ? des squelettes se balader dans le cimetière, à quelques centaines de mètres du pavillon. J’ai entendu des chants étranges… la voix lointaine… ensorcelée d’une femme.

- Tu… tu es sûr de ne pas avoir rêvé, demanda Ralph.

- Oh oui, ça j’en suis sûr ! J’étais bien réveillé, tu peux me croire ! Dès que le jour s’est levé, j’ai sauté dans mon froc et je me suis sauvé, sans même prendre mon sac. Ma mère ne va pas être contente… mais tant pis !

- Comment as-tu pu passer toute la nuit dans un endroit pareil ? gémit Patricia dont le cœur battait à tout rompre.

- J’ai bien songé à me sauver, mais pour aller où ? Je suis même allé frapper, en pleine nuit, chez le père Mauricet, c’est le nom du vieillard dont je vous ai parlé tout à l’heure… mais rien ! Personne ne m’a ouvert. Alors, pas question de traverser la forêt de nuit, je suis retourné à la villa et je suis allé me cacher dans le grenier, j’avais une de ces trouilles ! Mais du grenier, je voyais ce qui se passait aux alentours. Des lueurs étranges dansaient dans les bois… des squelettes se faufilaient dans le vieux cimetière et… et la chapelle, éclairée, sans doute par des torches laissait échapper des sons étranges. Des chants maudits…

- J’ai hâte d’arriver à la villa et de tirer ça au clair, lança Aurélie en se redressant.

- Quoi ? Mais t’es pas bien ? protesta Fabien. Il n’est pas question que je mette les pieds là-bas. Je retourne à la Ferté ! Et ventre à terre !

- Moi aussi, ajouta Patricia.

- Eh bien j’irai toute seule, puisque vous êtes tous plus froussards les uns que les autres.

Thomas se tassa un peu plus sur son siège et déclara d’une voix claire :

- Je ne remettrai pas les pieds là-bas pour tout l’or du monde ! Je file à la Ferté : j’irai chez mes grands-parents avec maman… et je vais filer doux, vous pouvez me croire.

- Vous êtes vraiment des trouillards, reprit Aurélie… pour des garçons ! De vraies lavettes.

- Patricia est une fille, souligna Ralph en souriant.

- Et toi, Ralph, que penses-tu de tout ça ? demanda la jeune fille.

Le garçon s’accorda une seconde de réflexion.

- J’avoue que je suis plus qu’intéressé par cette histoire… finalement, j’aimerais bien aller faire un petit tour là-bas…

- Mais ça risque d’être dangereux, coupa Fabien.

- Peut-être, admit l’aîné. Mais on a les portables.

- À condition qu’ils passent, souligna la cadette. J’ai trop peur, je ne veux plus aller là-bas. Y va nous arriver des tas d’ennuis, j’en suis sûre ! Renonçons à cette randonnée… on peut toujours aller autre part.

Aurélie faillit s’étrangler de rage :

- C’est idiot ! songez à tout ce qu’on avait prévu de faire, une fois là-bas… on devait même aller voir le château de Cheverny.

- En tout cas, moi je repars à la Ferté, souffla Thomas en se levant.

- Reste ! lança Ralph en le retenant par son vêtement. Tu ne vas pas t’en aller maintenant, en pleine nuit ! Ici tu ne crains rien… il sera toujours temps pour toi de repartir vers la Ferté demain.

- Oui, passe la nuit avec nous, appuya Patricia.

Le garçon se laissa choir sur sa chaise. Il était épuisé par la nuit cauchemardesque qu’il avait passée au hameau et la perspective de repartir dans l’obscurité, à la seule lumière de la lampe de son VTT, ne l’enchantait guère. Il accepta l’hospitalité de ses camarades.

- Reposons-nous, maintenant, suggéra Ralph. On y verra plus clair demain, c’est le cas de le dire ! Pat’ tu veux que je mette l’une des trois lampes en veilleuse ?

La fillette aurait volontiers accepté la proposition, mais elle sentit le regard de ses amis, rivé sur elle.

- N… non, ça va aller.

- Moi, je veux bien, souffla Fabien en se blottissant au fond de son sac de couchage.

- Lavette, souffla Aurélie.

- Lavette toi-même, lança le gamin, piqué au vif. Ça te va bien de jouer les courageuses… Aurélie-Lebrun-qui-n’a-peur-de-rien

- Imbécile ! p’tit-mec-sans-importance ! Idiot du village ! Tu te crois intelligent ? Trouillard, même pas capable de…

- Euh… ça vous embêterait d’aller vous engueuler dehors ? demanda Ralph d’une voix calme. Nous, on voudrait bien dormir…

Les deux autres se calmèrent aussitôt et le silence retomba sur le petit groupe.

Ralph éteignit finalement les trois lampes et tous s’endormirent à l’exception de Patricia qui demeura longtemps les yeux grands ouverts dans l’obscurité la plus complète, écoutant avec appréhension tous les bruits nocturnes qui parvenaient à ses oreilles.

Par ici rôdait un sanglier, par là c’était un chevreuil égaré dans la nuit ou, encore, un oiseau nocturne en quête d’une quelconque nourriture.

La fillette imaginait, sans peine, toutes sortes de mésaventures autour du hameau… des squelettes, des fantômes… peut-être encore des sorcières ou même le diable en personne ! Elle allait faire d’abominables cauchemars toute la nuit ! Elle en était persuadée. La respiration rythmée de chacun de ses camarades se perdit bientôt dans le monde des songes, là où tout devient possible… là où la réalité se confond avec le rêve… « …tricia ! ». La fillette sursauta… « Patricia ! ». La fillette reconnut sans peine la voix grave de son frère. Elle se redressa sur les coudes : ses paupières semblaient peser des tonnes.

- Tu te réveilles ? demanda Ralph. Il est l’heure de se lever !

Autour d’elle, ses amis s’affairaient. Aurélie avait préparé une casserole d’eau qu’elle s’apprêtait à faire chauffer sur le fourneau que les garçons venaient d’allumer. Fabien dévorait son premier cake, Thomas vérifiait, à l’extérieur, l’état de son VTT. La fraîcheur matinale le saisit un peu, lui qui n’avait que son tee-shirt.

- J’aurais dû prendre mon sac, soupira-t-il.

- Bah ! on te le rapportera, assura Ralph.

 

Les enfants s’installèrent au bord de l’étang pour y prendre un petit déjeuner des plus copieux.

- On a oublié de prendre du beurre, gémit Fabien.

- Non, c’est volontaire, répliqua Ralph, tu t’imagines, en train de trimballer du beurre… sur nos vélos.

- Heureusement que tante Lyse a pensé à mettre des petits pots de confiture… sinon.

Les autres ne purent s’empêcher de rire.

 

Une heure plus tard les quatre amis étaient prêts pour le départ.

- Pas de regrets Thom’ ? tu ne viens pas avec nous ? demanda Ralph.

- Oh non ! je file sur la Ferté !

- Et toi Pat’ ? demanda Aurélie.

- Je viens avec vous, répliqua la jeune fille, un peu vexée qu’on lui pose la question.

Elle était fatiguée et bâillait régulièrement.

- Tu n’as pas beaucoup dormi, remarqua son frère. Cette histoire te tracasse, hein ?

- Un peu, avoua la cadette en bâillant de nouveau.

- Tout à l’heure, vers midi et demi, on fera une petite sieste, ça nous fera le plus grand bien !

La journée était magnifique, il faisait bon et il était agréable de pédaler à travers la forêt solognote. La fraîcheur du matin s’était estompée et, à présent, le soleil brillait généreusement. Les enfants avançaient tranquillement et s’arrêtèrent, vers midi, au bord d’une rivière.

- On va se reposer un peu ici, puis on grignotera quelque chose, décida l’aîné. Moi j’ai pas trop faim… et vous ?

- Moi j’avalerais mon sac à dos, si je l’ pouvais, grogna Fabien.

Les filles étaient plus fatiguées qu’affamées et il fut décidé que l’on se reposerait d’abord, puis que l’on mangerait un peu avant de repartir pour le fameux hameau des forêts.

 

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