Le fantôme de l’abbaye perdue

 

 

 Extrait du livre : (chapitre IX)

 

Un inquiétant duo

 

 

Les cinq enfants jugèrent qu’il valait mieux passer la nuit à l’abri, à l’intérieur du moulin et déposèrent là, leurs sacs de couchage, non sans avoir scrupuleusement inspecté les lieux.

 

 — Tout est calme, observa Thomas, en caressant affectueusement la tête de son chien. Personne ne doit jamais venir ici.

 — Non, je suppose que les gens du coin connaissent ce moulin comme leur poche et n’y attachent plus aucune importance. D’autre part, il est trop à l’écart pour intéresser les touristes, conclut Ralph. On ne le voit pas du bas à cause des bois qui ont poussé un peu tout autour.

 — Tant mieux, comme ça on sera tranquilles, s’écria Aurélie. 

 — Oui, et c’est parfait, reprit le frère. On aura les lampes pour s’éclairer un peu ce soir. J’ai des piles de rechange. 

 — On a nos portables, indiqua Fabien. Rien ne nous empêche de nous éclairer avec.

 — Je préfère qu’on ne les utilise pas trop, répondit Ralph. Ici, il est impossible de les recharger.

 

      Un escalier de pierre permettait de gagner l’étage et Fabien s’empressa de le gravir. Il découvrit là, tout un bric-à-brac. Le garçon jeta un regard circulaire… Une longue fenêtre s’ouvrait sur la campagne environnante.

 

 — V’nez voir les gars.

 — Merci pour les filles ! grogna Aurélie. Patricia et moi, on existe aussi !

 — Oui… oui, bien sûr… enfin, venez tous : la vue est imprenable. On aperçoit une tour...

 — Qui appartient sans doute à l’abbaye, compléta Patricia. Il y a aussi plusieurs villages, tout au loin sur l’horizon.

 — La tour, c’est la fameuse tour aux mille corbeaux, précisa Ralph.

 

      Fabien sentit un frisson glacé lui parcourir l’échine, il repensa à son cauchemar, encore bien frais dans sa mémoire et saisissant de vérité ! « Dans  mon rêve, elle était carrée, là, elle est ronde… mais elle me semble tout aussi effrayante ! »

 

— On ira acheter quelques provisions au village demain, reprit Ralph. L’oncle Dédé m’a dit qu’il y avait une épicerie.

— Connaissant l’oncle, elle est peut-être fermée depuis dix ans, coupa Aurélie.

— Les portables ne passent pas, remarqua soudain Patricia.

— Pas grave, répliqua son frère, on n’est pas dans la jungle. Au village, je pense que ça passe, on appellera nos parents demain.

— Le mien passe, indiqua Thomas. Le petit groupe descendit l’escalier à la file indienne. Le soleil déclinait doucement sur l’horizon, dans moins d’une demi-heure, il ferait nuit noire !

 

      Un grondement retentit soudain les faisant tous sursauter. C’était Joss qui grognait ! Les oreilles couchées, le poil hérissé, il regardait vers l’unique  chemin d’accès.

 

      D’abord, les enfants scrutant la masse épaisse des grands arbres d’où émergeait le chemin ne virent rien. Une légère brume de chaleur s’élevait à la lisière du bois. Le chien grondait très doucement. Thomas posa délicatement sa main sur la tête de l’animal.

 

 — Chut, murmura-t-il. Doux, Joss, il n’y a pas de danger.

 

      Le petit groupe regardait toujours avec une attention soutenue, l’orée du petit bois. La pénombre du crépuscule absorbait inexorablement la campagne environnante. Le chien grognait toujours, le poil hérissé, les babines retroussées laissant entrevoir ses longues canines blanches. Une cloche tintait faiblement dans la nuit naissante.

 

 — Ce sont peut-être des enfants, comme nous, qui ont décidé de venir camper ici, hasarda Fabien.

 — Peut-être, répondit l’aîné. On verra bien… il doit bien y avoir encore de la place.

 — Pas d’accord, trancha Aurélie, on est arrivés les premiers.

 

      Le chien continuait à grogner et presque aussitôt, là-bas, à la jonction du chemin et des bois, les enfants aperçurent un âne portant un sac de chaque côté et qui avançait doucement, donnant l’impression de porter une bien lourde charge.

 

 — Qu’est-ce que ça signifie ? souffla Aurélie.

 — Je ne sais pas, répliqua son frère. On dirait qu’il apporte du grain au moulin, comme… comme autrefois.

 — Mais c’est impossible, murmura Fabien, il n’y a plus rien, ici,  pour moudre le blé…

 

      Dehors, à quelques mètres de l’entrée du moulin, l’âne avançait toujours… portant son lourd fardeau.

 

— Il est tout seul, observa Thomas.

 

     Il venait à peine de finir sa phrase, qu’un homme, au visage d’une pâleur extrême et d’apparence très âgée, surgit soudain, quelques mètres derrière l’animal, une lanterne à la main.

 

 — Qu’est-ce que ça signifie, répéta Aurélie.

 — C’est étrange, reprit Thomas. Il est habillé d’une drôle de façon.

 — Et puis, il se balade avec une lanterne… au lieu d’avoir une lampe de poche, comme tout le monde, remarqua Ralph. 

 — On dirait… on dirait, commença Patricia d’une voix tremblante.

 — On dirait un fantôme, compléta Aurélie d’un ton qu’elle s’efforçait de rendre rassurant.

 

      Le vieillard et son animal approchaient toujours, s’éclairant à la lueur de la lanterne, marchant d’un pas mécanique et très lent, face au moulin.

 

      À l’intérieur de l’édifice, les enfants se sentirent gagnés par une étrange appréhension. Le chien, bien que sur ses gardes, observait la scène en silence. 

 

 « Que devons-nous faire ? » pensa Ralph. Il n’eut pas longtemps à se poser la question, car à cet instant, le mystérieux individu et son âne obliquèrent vers la gauche, sur un sentier qui s’enfonçait dans la forêt et que les enfants n’avaient pas vu. La lueur, émise par la lanterne s’estompa bientôt.

 

 — J’ai peur, gémit Patricia.

 — Moi aussi, avoua Fabien.

 — Ça m’aurait étonnée, grogna Aurélie.

 — Tu n’as peut-être pas peur, toi, répliqua le cadet.

 — Je ne vois pas ce qu’il y a de si extraordinaire à voir un vieil homme se balader avec un âne à la nuit tombée près d’un moulin, reprit la fillette.

 — Si, tout de même, c’est étrange, objecta Thomas. Cet homme est habillé comme autrefois… il y a cent cinquante ans. Il s’éclaire avec une lanterne, comme dans l’ancien temps.

 — On aurait vraiment cru qu’il venait ici, appuya Ralph.

 — … Et que nous l’avons dérangé, compléta Thomas. Il avait tout d’un fantôme. Vous avez remarqué la pâleur de son visage ?

 — Qu’est-ce qu’on aurait fait, s’il était venu ici ? gémit Fabien en frissonnant.

 — Franchement, je n’en sais rien, répliqua Ralph.

 — On est arrivés avant lui, rappela Aurélie d’une voix qu’elle s’efforçait de rendre ferme.

 — Oui, reconnut son frère, mais c’est peut-être une propriété privée… après tout, on ne sait pas.

 — Non, dit Thomas, comme te l’a dit ton oncle, ce moulin est abandonné depuis des années, d’ailleurs, il suffit de voir l’état dans lequel il se trouve. Et puis, aucun panneau ne signale que c’est une propriété privée.

 

Patricia et Fabien se serrèrent l’un contre l’autre. Le moulin baignait dans un silence oppressant. À présent, il faisait nuit.

— Je veux qu’on reparte, souffla Fabien.

     Aurélie allait prendre la parole, mais Ralph fut plus rapide qu’elle.

— Ce soir, on est obligés de rester ici… demain, on avisera.

 

Ils allumèrent les lampes qu’ils avaient apportées, puis déballèrent les provisions et, finalement, mangèrent de bon appétit. Thomas versa une bonne ration de croquette dans l’écuelle de son chien et lui donna de l’eau en fraîche quantité.

 

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