Le secret de la vallée oubliée

 

Extrait du livre :   

 

Réceptif au moindre bruit le garçon ne dormait pas. Il lui sembla, à un moment, entendre une sorte de clapotis. D’abord il n’y attacha pas trop d’importance, après tout, au bord d’un lac, si petit soit-il, il jugea normal d’entendre le bruit des vagues. Puis il tendit davantage l’oreille et s’aperçut qu’il n’y avait pas un seul souffle de vent. Mais alors ? Qu’y avait-il sur le lac ? Un canard peut-être ? Ou alors une poule d’eau ? Le jeune garçon voulut en avoir le coeur net et se redressa très lentement. Le grillon avait cessé de chanter et la nuit était à présent tout à fait silencieuse. La lune éclairait suffisamment pour qu’il puisse distinguer la masse des collines environnantes et celle plus sombre de la forêt. Il apercevait également l’entrée béante et noire du souterrain. Le garçon sentit une étrange appréhension l’envahir, son imagination était très fertile et la vision de ce vaste trou plongeant dans le néant lui fit penser à la gueule d’un monstre dont la taille serait immense ! Ce monstre semblait prêt à bondir ! Fabien se recroquevilla sur lui-même comme pour se protéger du danger. Il jeta un oeil du côté de ses amis dont il distinguait les silhouettes allongées tout près de lui. Ils dormaient tous d’un profond sommeil ! Comme il aurait aimé pouvoir en faire autant. Le jeune garçon retint sa respiration et perçut celle de ses amis ainsi que le mystérieux clapotis qui se rapprochait encore. Prenant son courage à deux mains, il rampa jusqu’à la rive et devina une embarcation, une barque ou un canot pneumatique, qui glissait sur les eaux dormantes et noires du lac. Fabien se redressa doucement, recula pour rejoindre ses camarades mais il se prit les pieds dans une racine et faillit tomber à la renverse parvenant à se rattraper de justesse à la branche d’un vieux saule. Le garçon s’approcha de Ralph et le secoua doucement sans oser l’appeler. L’aîné se retourna sans s’éveiller.

- Ralph, souffla le cadet.

Le grand se redressa surpris, cherchant dans l’obscurité le bouton de la lampe de chevet qui trônait habituellement sur sa table de nuit. En une fraction de seconde la mémoire lui revint. Mais oui ! Il était au bord du lac, dans la propriété du vieux moulin. Mon dieu, la nuit était fraîche à présent, presque froide !

- Qu’est-ce que tu as ?

- Chut ! moins fort ! écoute, il y a quelqu’un sur le lac.

- À cette heure-ci ?

- Oui... je... j’ai peur.

Ralph regarda en direction du lac.

- Il n’y a pas de raison d’avoir peur, nous sommes bien là, nous.

Les rayons de lune donnaient un reflet légèrement nacré à l’étrange individu qui semblait vêtu d’une sorte de pèlerine dont il avait rabattu le capuchon sur son visage.

- Regarde ! Aurélie avait raison, gémit Fabien. C’est un fantôme, tu crois ?

- Arrête donc de dire n’importe quoi. Si c’était un fantôme, comme tu dis, il n’aurait pas besoin d’une barque pour se déplacer.

- Et les fantômes n’existent pas, souffla une voix qui les fit sursauter.

- Aurélie ! tu m’as fait une de ces peurs, râla le cadet.

- Ainsi, j’avais donc bien vu une étrange silhouette, tout à l’heure. Mais qui peut bien naviguer en pleine nuit sur ce lac ?

- Je l’ignore, répliqua l’aîné, mais j’aimerais bien en savoir un peu plus.

- Il doit crever de chaud, habillé comme ça, reprit sa soeur.

- À cette heure-ci, il ne fait guère chaud, répondit Ralph. Restez-là : quand il accostera, je le suivrai.

- Pas question de rester ici, comme une idiote à t’attendre, je viens avec toi.

- Aurélie-Lebrun-qui-n’a-peur-de-rien, murmura Fabien.

- Toi le minus, aux pieds ! Espèce d’abruti !

- J’ t’interdis de m’insulter ! répliqua le garçon vexé.

- Oh ! tous les deux : ça suffit ! ça ne va pas commencer. Pour l’instant, restons tous ici. Tant qu’il est sur le lac, on ne peut rien faire d’autre que l’observer et s’il débarque en face, d’ici à ce qu’on fasse le tour, il aura cent fois le temps de décamper !

- J’espère qu’il ne va pas passer la nuit sur la flotte, grogna Aurélie presque à voix haute.

- Moins fort, souffla son frère, ce n’est pas la peine de réveiller Pat’.

- Je suis réveillée, murmura la cadette. Qu’est-ce que vous faites tous debout en plein milieu de la nuit ?

- On joue aux cartes, ironisa sa soeur dont l’humeur était mauvaise.

- Aux cartes ? répliqua la fillette surprise, mais il fait nuit.

Les autres la mirent au courant des récents événements.

- Regardez, souffla Fabien, il accoste enfin.

- Oui, mais tout au bout du lac, bougonna Aurélie.

- Demain on ira voir de ce côté-là, décida Ralph.

- Pourquoi pas tout de suite, reprit Aurélie.

- D’abord parce qu’il fait nuit, répliqua l’aîné, puis le temps qu’on arrive à l’endroit où il a débarqué, il sera loin...

Les enfants s’allongèrent et se rendormirent aussitôt malgré la fraîcheur nocturne.

 

La lumière aveuglante du soleil de juillet les tira de leur torpeur.

- Déjà ? grogna Fabien en s’étirant. Mais on vient à peine de fermer les yeux !

- Faisons un brin de toilette, décida Ralph en riant, déjeunons rapidement puis on ira tout de suite voir l’endroit où notre gaillard a pris pied cette nuit !

Le ciel était totalement dégagé, d’un bleu cru, mais le vent matinal était bien frais.

- On aurait dû prendre des vêtements plus chauds... on est parti sur un coup de tête.

- Peut-être, Pat’, mais le soleil va vite réchauffer la campagne, répliqua son frère.

Ils avalèrent le peu de provisions qui leur restait et se mirent en route. L’étrange personnage avait abordé la terre ferme à la pointe du lac, là où naissait le chemin qui conduisait à la maison abandonnée.

- J’avais raison de ne pas aimer ce maudit chemin, lança Patricia.

- Tu sais, rien ne nous permet d’affirmer que cet individu venait de là, rétorqua Ralph, il pouvait très bien venir de l’autre chemin, celui qu’on n’a pas encore exploré et qui file sans doute vers les ruines que Fabien a repérées sur la carte.

- Peut-être, admit la cadette.

- Et puis, rien ne nous permet d’affirmer que ce... cet individu nous est hostile, poursuivit le garçon.

- S’il a la conscience si tranquille que tu veux bien le croire, pourquoi attend-il la nuit pour se promener sur le lac ?

Chemin faisant, ils étaient arrivés à l’endroit où ils avaient aperçu l’inquiétante silhouette durant la nuit. Les enfants examinèrent consciencieusement le sol.

- Il y a des empreintes dans la boue, remarqua Aurélie.

Elle se pencha et scruta la terre.

- Bizarre, reprit-elle, il y a un trou du côté droit, à intervalles réguliers. Qu’est-ce que ça peut bien être ?

- Je pense que la personne qui a marché ici devait s’aider d’un bâton, expliqua son frère, oui, c’est ça, un bâton... ou plutôt une canne.

- Comment tu peux savoir ça Sherlock Holmes ? demanda Aurélie d’un ton ironique.

- C’est simple, regarde... tu vois ? ce sont des trous bien réguliers et toujours du même côté.

- La taille des traces n’est pas très grande, nota Fabien. Penses-tu qu’il puisse s’agir des empreintes d’un enfant ?

- Peut-être, répondit l’aîné. D’un enfant ou d’une femme. Mais tu sais, ce ne sont pas des empreintes si petites que ça... je pense qu’il s’agit d’une pointure moyenne. Je dirais du quarante...

Il compara avec son propre pied puis reprit en secouant affirmativement la tête :

- Du quarante ou du quarante et un. Il faudrait qu’on retrouve la barque.

Ils cherchèrent le long de la rive mais à cet endroit les saules et les ajoncs s’entremêlaient et il était difficile, hormis par le sentier, de s’approcher de l’eau.

- Je l’ai trouvée, s’écria Aurélie. Elle est là.

- Ne crie pas si fort, recommanda doucement son frère.

- Pourquoi ? Tu penses qu’il y a du danger ?

- Pas vraiment, mais on ne sait pas à qui on peut avoir affaire.

- J’ai peur, balbutia Patricia, soudain très bouleversée. On se met toujours dans des situations difficiles... j’aimerais tant pouvoir passer des vacances tranquilles.

- Moi aussi, admit Fabien en regardant Aurélie en coin. J’ai une de ces frousses ! - Essayons d’être plus discrets, reprit Ralph. Peut-être nous épie-t-on.

- Tu... tu crois qu’on nous surveille ? souffla Fabien en jetant des regards circulaires.

- Je n’en sais rien...

Il s’approcha de l’embarcation et l’examina d’un rapide coup d’oeil. Elle était en bois et avait subi les outrages du temps, la peinture claire qui la recouvrait jadis s’écaillait beaucoup. Deux rames étaient posées pêle-mêle au fond. Il n’y avait rien d’autre à bord.

- Qu’est-ce qu’on va faire ? demanda Patricia.

- D’abord retourner au moulin, répliqua son frère, prendre une douche, des vêtements chauds, parce que cette nuit on caillait ferme, et des provisions. On prendra aussi les deux petites tentes !

- Les grandes manoeuvres, si j’ai bien compris, lança Aurélie.

- C’est ça sœurette ! les grandes manœuvres !

- J’ai un prénom ! vu ?

- Toujours aussi charmante ta frangine, ironisa Fabien.

- Toi l’avorton on ne t’a pas sonné !

- Charmante, répéta le gamin d’un ton égal.

 

acheter la version papier en cliquant ici